Philippe Atienza, Artisan bottier
C’était en 1978, j’avais 16 ans. Le Compagnonnage est une formation par le voyage avec perfectionnement le soir. En deux ans, j’ai fait mon apprentissage en cordonnerie à Montélimar, j’ai préparé mon CAP de bottier à Lyon et je me suis formé à l’orthopédie. Je devais réaliser deux paires par jour, couture trépointe comprise chez un compagnon orthopédiste. Un vrai défi ! En 1980, je suis arrivé à Paris et j’ai été embauché à Pantin par un orthopédiste. Après mon service militaire, j’ai rejoint des ateliers en Lozère et à Strasbourg. C’est à Marseille que j’ai réalisé mon travail de compagnon, qu’on appelle le « chef d’œuvre ». C’était une chaussure féminine qui concentrait les difficultés ! Puis je suis revenu à Paris. J’ai complètement adhéré aux règles du compagnonnage. La notion de transmission est essentielle. On apprend à regarder. On devient performant très vite et on comprend aussi très rapidement qu’on est passeur.
Vous débutez chez John Lobb où vous passez une vingtaine d’années…
Jusque dans les années 80, les ateliers de botterie étaient fermés aux compagnons. La plupart collaboraient avec des façonniers. Les compagnons travaillaient en réparation et en orthopédie. Les maisons comme John Lobb ont commencé à manquer de main d’œuvre. Je suis entré en 1985 comme ouvrier de pied. Chez les compagnons je m’étais exercé à fabriquer une botte d’équitation. La maison m’a fait confiance. J’ai été chargé des patronages, des tiges, du montage, du développement mesure pour finalement diriger l’atelier. En 21 ans, je suis passé par tous les postes. Une phrase m’est restée : « Ce qui fait la différence, c’est le quart de millimètre »…
Quelle a été votre fonction au sein de la maison Massaro ?
J’ai pris la succession de Raymond Massaro lorsqu’il est parti en 2008. L’équipe lui était très attachée. Je suis revenu au soulier féminin. J’avais un rôle d’animateur technique, de commercial, de gestionnaire. En dix ans, l’équipe est passée de 9 à 14 personnes.
Quelles places occupent les apprentis dans votre métier ?
Elle est capitale. J’en ai fait entrer une dizaine chez John Lobb. Avant mon arrivée chez Massaro, il n’y en avait jamais eu. J’ai pris un apprenti dès l’ouverture de mon atelier en 2016. Aujourd’hui, j’en ai deux, j’espère en engager davantage. J’ai aussi enseigné le patronage à l’association Maurice Arnoult, un maître bottier parisien. En créant mon entreprise, j’ai voulu pérenniser la tradition bottière. L’écoute, l’échange sont très importants. Le métier doit rester vivant.
Que propose votre atelier ?
C’est un espace polyvalent conçu pour mettre en valeur le processus de fabrication des souliers. Nous fabriquons environ cinquante paires sur mesure par an pour homme et femme. Les clients apprécient d’être proches des artisans, ils circulent au milieu des outils, des machines anciennes. Certaines sont de vraies « pièces de collection », la plupart fonctionnent comme la cambreuse guillotine des années 1900 qui sert à galber la tige. L’atelier propose aussi des formations à la journée, à la carte, pour découvrir le métier, se reconvertir… Nous collaborons avec deux écoles de mode parisiennes pour réaliser les chaussures dessinées par les étudiants. On pourrait aussi réaliser des chaussures de défilés. L’activité grossit. Je constate que la reconnaissance de l’artisan s’installe durablement. Il faut être volontaire au départ et le rester.