

Le cuir explore de nouveaux débouchés
Un domaine dans lequel l’Alliance France Cuir a sponsorisé le pilote Eric Helary, ancien vainqueur des 24h du Mans, pour la 53èmeédition du Circuit des Remparts qui s’est tenue du 19 au 21 septembre à Angoulême. Le Concours d'État des véhicules les mieux rénovés, également soutenu par l’AFCuir, a vu ses vainqueurs remporter des accessoires Mileage Paris, spécialiste de la transformation des cuirs automobiles en maroquinerie haut de gamme. Un partenariat qui fait écho à l’ancrage du cuir dans l’imaginaire automobile, dont il a protégé les pilotes jusque dans les années 60.
Sur les circuits, dans les airs et sur les murs
Si l’Alliance France Cuir a soutenu à Angoulême le Concours d’État, c’est parce que le cuir demeure associé aux intérieurs automobiles les plus luxueux. Et alors que des constructeurs comme BMW, Tesla et maintenant Renault rejettent le cuir, "les collectionneurs veulent des intérieurs identiques à ceux d’origine", explique Diane Deblyck. La dirigeante axonaise des Ateliers Français de la Sellerie a lancé sa propre École du Cuir pour transmettre son savoir-faire. Seul habilité à délivrer le titre professionnel de “Sellier-garnisseur véhicule de prestige et de collection”, l’établissement forme une cinquantaine de personnes par an. "Nous sommes sur des gestes ancestraux, hérités des garnisseurs qui habillaient carrosses et calèches. C’est une forme de haute couture”, souligne Diane Deblyck. “C’est un travail à part dans le monde du cuir, car il faut aussi savoir travailler d’autres matières, comme le bois, qui a longtemps composé les véhicules”.


La Tannerie Sovos s’est quant à elle spécialisée depuis 2015 dans l’habillage cuir pour avions et bateaux. Un domaine dans lequel l’exigence de qualité s’accompagne de délais serrés. “Ce type d’activité se fait projet par projet, sur mesure”, explique le dirigeant Jacques Desbrosses. “Nous travaillons sur du cuir bovin lourd, venant à 70% de France, et la moitié de notre usine est dédiée à la production rapide d’échantillons pour identifier l’attente du client. Car les constructeurs doivent avancer vite, au regard des montants en jeu”. Sollicitée par des clients “très connus”, l’entreprise doit en outre faire face aux exigences réglementaires propres à l’avionique et à l’aéronautique. “Les démarches d’agrément peuvent prendre de 2 à 5 ans, selon les pays. Nous avons été démarchés il y a trois ans par un avionneur américain, et ce n’est pas encore fini”.

Les Ateliers Français de la Sellerie et Tannerie Sovos appliquent également leur savoir-faire à l’ameublement, des fauteuils et banquettes au gainage de mobilier. Sur ce marché, la présence du cuir n’est cependant pas suffisante pour être chiffrée, explique Cathy Dufour, déléguée générale de l'Ameublement français. “C’est une matière que l’on retrouve surtout dans les offres premium et haut de gamme, mais qui souffre sur ce marché d’une forme de désaffection, au profit d’autres matières comme le lin. Ce qui explique que le cuir est souvent mêlé à d’autres matériaux, comme le bois”, explique la responsable fédérale. La spécialiste évoque par ailleurs la crise traversée par le secteur, après l’effervescence post-Covid. “Le marché français a chuté de -7% l’an passé, ce qui s’est poursuivi au 1er semestre”, explique-t-elle. Tout en soulignant que le niveau de gamme dans lequel évolue le cuir connaît une chute bien plus mesurée.
A la page et aux pieds
Si certaines bibliothèques s’habillent de cuir, elles se garnissent parfois de livres qui ne sont pas en reste. La reliure demeure en effet un débouché pour le cuir, bien que celui-ci soit devenu marginal. “Il reste des relieurs, mais les ateliers industriels et semi-industriels, qui étaient principalement dans le bassin limougeaud, ont fermé“, explique Jérôme Verdier dirigeant de la mégisserie Alran, qui réalise 1% de son chiffre d’affaires via cette activité exploitant les cuirs de veau et de chèvre à tannage végétal. “Cette activité relève plus d’un maintien de tradition, de l'artisanat, voire du loisir pour certains”, estime celui qui est, par ailleurs, Premier vice-Président de la Fédération Française de la Tannerie Mégisserie (FFTM), et qui souligne que ce marché alimente aussi bien quelques grands éditeurs que des esthètes et collectionneurs particuliers.


Le cuir trouve également un débouché dans l’univers médical via la podo-orthésie. Une profession ancienne, produisant 140 000 paires de chaussures par an, “reconnue profession de santé en 2005”, souligne Marielle Dufaure, déléguée générale de la Fédération Française des Podo-orthésistes. Ce corps de métier adapte des modèles existants, ou en crée sur mesure, en fonction des pathologies. Une activité qui s’est adaptée à la mode des chaussures de sport. “L’offre ne se limite plus aux imposantes chaussures en cuir bien noir qu’on lui associe : l’orthopédie s’accommode très bien de la basket, et le cuir n’est plus systématique”, souligne la représentante, qui explique que les patients, avec une paire remboursée par an, peuvent ainsi alterner entre modèles urbains et sportswear. Un remboursement qui est d’ailleurs au cœur de revendications du métier : la Sécurité Sociale n’a augmenté que de 3% les montants remboursés depuis 2013, là où le coût d’une paire avoisine aujourd’hui les 800 euros. De quoi mettre la trésorerie des fabricants sous pression.
Le cuir, prêt-à-porter
Aujourd’hui, le vêtement en cuir est surtout synonyme de 260,4 millions d’euros à l’export pour la France. Un chiffre plus limité en 2024 que ceux de la maroquinerie (13 milliards) et de la chaussure (5,4 milliards), selon l’Observatoire Économique de l’Alliance France Cuir, mais qui fait de la France le cinquième exportateur du domaine, avec les États-Unis, la Chine et l’Italie pour premiers clients. Le secteur génère 80 millions d’euros d’excédent commercial, note d’ailleurs l’observatoire.
“En 15 ans, il y a eu une mutation du marché des vêtements en cuir : on les trouvait avant chez des revendeurs spécialisés, mais des enseignes comme Zara se sont mises à l’intégrer dans leur offre”, analyse de son côté Jean-Pierre Dumay. Après avoir piloté un bureau de fabrication en Asie, le spécialiste a lancé Classic Legend Motors en 2019. Cette marque de vêtements et accessoires en cuir s’inspire spécifiquement du monde automobile, avec des partenariats prestigieux comme 24H Le Mans, Alpine, Shelby, ainsi que Senna et Jacky Ickx côté pilotes. Le cuir “reste une pièce importante dans le vestiaire d’un passionné, même si les clients attendent aujourd’hui une matière plus souple et légère, ce qui nous a amené à développer un tannage végétal qui donne un aspect vintage, du vécu”, indique le spécialiste, qui se lance maintenant dans la chaussure. Car “si un client achète un blouson en cuir tous les 3 ans, il achète 15 paires de chaussures entre-temps”, explique-t-il.

Comme un gantier
Le gant en cuir a longtemps été nécessaire pour agripper les volants en bois des autos. De nos jours, le gant de sport représente 24% des 32,2 millions d’euros d’exportations françaises de gants, contre 35% pour le gant de ville. Deux marchés sur lesquels opèrent Lydie Perron et Julien Vidal, qui ont repris en 2012 à Millau l’Atelier du Gantier. “C’est plus une niche qu’un marché, et vous trouvez tous les prix sur Internet”, souligne Lydie Perron, qui propose des gants personnalisés ou sur mesure en cuir d’agneau.
L’attrait pour le gant en cuir, isolant et solide, ne se dément pas selon la spécialiste, qui relève aussi un intérêt pour la production locale. Une fabrication française qui, comme l’ensemble des niches évoquées, dépend largement de la sauvegarde des savoir-faire et de la capacité des artisans à accéder à une production de peaux françaises.

Louis Endau